01/10/2007
Interview de Jean-Joseph Goux par Pierre Cormary
Réponses aux questions de Montalte
Question 1- D'abord, une question "difficile" : au vu des connaissances et du mode de penser d'aujourd'hui, quelle est selon vous la meilleure définition de l'oeuvre d'art ?
Question difficile, car c’est cette définition que l’art moderne et contemporain ont fait exploser. Notre situation pourrait même se résumer à ceci : il n’y a plus de définition tenable de « l’œuvre d’art ». Alors que s’est-il passé ? Comment en est-on arrivé là ? Tout se passe comme si l’art moderne et contemporain avaient, peu à peu, mis en cause, détruit, démonté toutes les caractéristiques qui pouvaient faire d’un objet une œuvre d’art. Tout se passe comme si son mouvement même, depuis plus d’un siècle, consistait à cela, à se défaire presque méthodiquement de tout ce qui pouvait être compté comme un trait essentiel de l’objet esthétique. Très vite, avec Picasso puis Duchamp, le défi était lancé. Et il ne cessera pas depuis d’être relancé. La référence à la beauté, qui était une dimension essentielle de ce que l’art (c’est à dire « les beaux-arts »), promettait au spectateur vole en éclats avec Les demoiselles d’Avignon de Picasso. Le laid, le grimaçant, le difforme (puis bientôt le « trash » et le « destroy ») remplacent la quête du beau. Il n’y a plus d’idéal esthétique. L’humour, le sarcasme, s’introduisent dans la galerie ou le musée, se moquant des « beaux-arts ». et de toutes ses idéalisations : la pissotière de Duchamp détruit toute définition de l’art, mieux qu’aucun manifeste dadaïste. A la limite on ne peut plus rien dire de l’art a priori. L’art c’est ce qu’on expose. L’art c’est ce qu’on montre. L’art c’est ce qu’un groupe de personnes ayant un pouvoir institutionnel s’accorde à reconnaître comme de l’art, etc… Toutes ces façons décevantes, déroutantes, de dire ce qu’est l’art, témoignent d’une incertitude ou d’une crise qui est au cœur de l’entreprise artistique de notre temps, et qui devient sa caractéristique même et aussi sa force, en tant qu’expression exacte d’un monde qui est autoproducteur de sa propre réalité, et non pas image d’une réalité déjà existante, ou reflet d’idéaux esthétiques inscrits au ciel.
Question 2 - Vous rappelez très justement dans votre livre que l'art fut pendant les deux siècles derniers "l'utopie de la modernité". A travers le refus quasi systématique de l'art contemporain par le public, refus qui selon vous relève d'un dépit envers une religion qui n'a pas tenu ses promesses, peut-on dire que l'on assiste aujourd'hui à une mort de l'art comme il y eut une mort de Dieu ?
Certes l’art fut une sorte de religion de l’époque moderne, un substitut des grandes croyances religieuses défaillantes. On a mis en lui des espérances de transfiguration de la vie et de rédemption qui étaient jusque-là réservés au domaine de la vie religieuse. Mallarmé, Wagner, ou Proust en sont des exemples extrêmes. Mais sur un mode moins intense c’est toute une époque d’artistes, d’ écrivains, de poètes, de musiciens, qui voit dans l’art l’espoir d’un salut métaphysique et non seulement un divertissement. Les avant-gardes ont hérité de cette radicalité. Le public aujourd’hui est sans doute très loin d’embrasser un tel fanatisme de l’art. Mais le fait que le public a tendance à bouder l’art contemporain -- qui lui-même est devenu très ironique, très déceptif, par rapport à tout ce qui pourrait donner à l’art une puissance de transfiguration idéaliste et d’exaltation – ne signifie pas pour autant que l’art, en général, disparaisse de notre horizon, et soit devenu comme le prévoyait Hegel quelque chose du passé. C’est même le contraire qui semble se produire. Les moyens techniques d’agir sur la sensibilité visuelle au auditive, --ce qui constitue potentiellement des ressources de l’art---, deviennent plus complexes et plus puissants. Par ailleurs, et sous cette influence, on pourrait diagnostiquer une sorte d’esthétisation générale, une influence de plus en plus marquée des sons et des images, à travers les instruments multimédiatiques qui nous entourent et ne nous quittent pas. Certes, dans cette esthétisation, c’est le statut historique de l’art, du grand art, qui est aussi mis en cause, mais cette crise n’est pas une mort de l’art par inanition, plutôt un élargissement de ses moyens qui en fait éclater les frontières. D’ailleurs, il faudrait nuancer aussi cette bouderie du public dont vous parlez. Il semble que l’art contemporain (sans même parler de l’art classique et moderne qui déplace les foules) touche un public de plus en plus grand, et je ne parle pas seulement de ceux qui se servent de lui comme outil de spéculation, ce qui pose d’ailleurs des problèmes très déroutants aux confins de l’économique et de l’esthétique sur la « valeur » des œuvres d’art.
Question 3 - Alors qu'ils accédaient enfin à une autonomie totale de création et à une liberté formelle quasi infinie qu'aucune époque ne leur avait accordée, la plupart des artistes contemporains ont tourné le dos au monde. Est-ce parce que l'art du XX ème siècle a pu se fourvoyer dans le totalitarisme nazi (Léni Riefensthal, Arno Brecker, Albert Speer) et qu'ils ont voulu par prudence ou par probité ne plus jamais avoir affaire au monde de peur d'être récupéré ? Ou bien est-ce par simple narcissisme autarcique ?
Il me semble en effet, que dans les années 60, à l’époque qui voit émerger ce que l’on appellera l’art contemporain, ( par différence avec l’art moderne) se développe en littérature comme en peinture l’idée qu’il faut renoncer dans l’art à tout engagement au niveau des contenus, et qu’il faut travailler à des révolutions dans la forme. Cette attitude a pu être adoptée en réaction à des fourvoiements politiques, à de sanglantes impasses, que ce soit celles du nazisme ou, surtout à cette époque, du stalinisme. En même temps, c’est sans doute le mouvement général de l’autonomisation de l’art qui se poursuivait de cette façon jusqu’à des extrémités qu’on pourrait considérer comme des limites aberrantes mais qui ont leur légitimité dans cette logique: l’écriture du roman qui s’écrit, le film du film qui se fait, la peinture qui déconstruit et met à jour les conditions élémentaires de sa production (le cadre, la toile, la couleur, le mur, etc..). Plus que d’un simple narcissisme, je pense qu’il s’agissait d’un mouvement presque inéluctable, dans une logique d’autonomisation du médium, qui a commencé avec l’art moderne et qui trouvait ainsi sa continuation. Depuis Manet le peintre ne se contente pas de représenter le monde, il veut aussi faire voir comment se fait une peinture, il veut laisser des traces de son opération de peintre. Toute la peinture moderne et une grande partie de l’art contemporain sont marquées par ce souci. La fabrication du tableau ou de l’objet laisse des traces. Le faire transparaît dans ce qui est donné à voir. En même temps cette tendance (qui a été picturale, littéraire, cinématographique) a pu coexister (y compris chez les mêmes artistes) avec le désir de capter plus directement le monde contemporain,
Question 4 - En même temps, vous dites que l'artiste contemporain, qu'il en ait conscience ou non ou qu'il se prétende "subversif" ou non, épouse de fait les valeurs individualistes, libérales et démocratiques de notre époque. La loi du marché est devenu la loi de l'art. Il n'y a donc plus de place pour une vraie subversion sauf celle peut-être d'un "artistiquement abject" (comme les "actionnistes viennois" ou autres performants gore) qui d'ailleurs est repris comme tout le reste par la spéculation ?
Il est bien certain que le surgissement de l’art moderne et contemporain n’a pu avoir lieu qu’avec certaines conditions extrêmement complexes, dont une grande liberté de l’individu, la volonté et la possibilité de mettre en cause les traditions, les canons, les règles, pour se lancer vers des formes sans précédents. Il a fallu que les notions de création individuelle, de liberté pure, etc... soient reconnues, et fassent parti de l’ ethos de tout un groupe, sinon de toute une culture. En ce sens là, oui, l’artiste contemporain appartient à son temps, qui est aussi le temps de la démocratie et de l’individualisme extrême, et celui où la figure même de l’artiste, du créateur, est valorisée d’une façon inouïe, qui n’a sans doute jamais eu d’exemple. Et pour que cela se produise, il faut sans doute que la société reconnaisse dans l’artiste - dans le fameux créateur, y compris le plus contemporain et dans ses domaines variés -, quelque chose de fondamental pour son ethos et son existence : l’invention, la production du nouveau, l’innovation pour l’innovation, ce qui correspond bien aussi à l’une des exigences vitales de nos sociétés présentes. Mais une telle interprétation s’inscrit dans un cadre très large, très général. Cela n’empêche pas que l’artiste, l’écrivain, le cinéaste existe dans un champ qui est marqué par des contradictions, des conflits, des luttes. C'est là qu'il affirme sa singularité et une force oppositionnelle qui peut être scandaleuse, choquante, déroutante.
Il est vrai aussi qu’après les provocations modernistes les plus scandaleuses qui sont maintenant acceptées et muséifiées, le choquant lui-même est une tradition et une exigence de l’art contemporain, ce qui émousse quelque peu sa force de subversion. C’est en cela que nous sommes entrés dans un moment « postmoderne » dont l’un des traits est que le conflit romantique entre le bourgeois et l’artiste, le divorce entre l’entrepreneur et le créateur, l’économique et le poétique, tend à perdre de sa force. L’entrepreneur lui-même se pense souvent sur le modèle du créateur, et vice-versa ; ce qui brouille le grand clivage né au dix-neuvième siècle. L’esthétisation de l’économie avec l’importance des medias, de la publicité, avec la captation du désir par le marché, avec la « valeur » aussi bien économique qu’esthétique et éthique suspendue au jugement subjectif le plus éphémère, n’est pas pour rien dans cette tendance.
Question 5 - On parle de plus en plus d'une gratuité pour l'entrée des musées. Y voyez-vous le signe d'une saine démocratisation de l'art - un art pour tous - ou le risque de faire de l'art un phénomène de consommation comme un autre ?
C’est une question qui renvoie à la fois à un problème de principe et à un problème empirique.. Est-ce que la gratuité est souhaitable ? Et lorsqu’elle est acquise, est-ce qu’elle a l’effet attendu sur la fréquentation des musées ? Il est vrai qu’il peut être bon, à une époque où les produits de la culture sont transformés en marchandise consommable aisément et sans effort, que le musée apparaisse comme un « sanctuaire de l’art ». C’est un domaine à part, un espace presque sacré, un véritable temple où un effort est à faire pour pénétrer. Il y a le dehors et il y a le dedans. Le prix de l’entrée est l’obole qu’il faut céder pour passer le seuil de ce domaine enchanté… Je ne suis pas complètement insensible à cet argument, même si, en même temps, on pourrait souhaiter que ce soit autre chose que l’argent, qui trace cette frontière symbolique.
Question 6 - "Dans la plupart des cultures, l'art n'a jamais quitté la place très honorable mais secondaire du beau, subordonné à des fins beaucoup plus hautes que lui" écrivez-vous. Est-ce à dire que l'on ne peut concevoir un grand art, sinon sans Dieu, sans transcendance ?
Même dans les civilisations qui ont connu ce que l’on peut tenir pour un grand art (la Grèce, la Renaissance), l’art reste une sorte d’artisanat du beau qui est subordonné à une fin plus haute, de type religieux et politique. L’artiste lui-même dans ces civilisations n’a pas encore le statut, la « cote » sociale et culturelle que l’on attribue aujourd’hui à l’artiste. Il reste proche de l’artisan. Ce n’est qu’à l’époque moderne et surtout au 19ème siècle que l’art s’autonomise, prend un sens par lui-même, n’est plus subordonné à des valeurs et des fins plus hautes. L’art devient un absolu. En même temps l’artiste acquiert un statut symbolique conforme à cette promotion de l’art.. Cette accession de l’art et de l’artiste à ce statut ontologique absolu coïncide, bien sûr, avec le déclin du religieux, avec la « mort de Dieu ». La pensée de Nietzsche marque parfaitement ce tournant : mort de Dieu et promotion du créateur, de l’artiste, à une place ontologique suprême. Mais le paradoxe est que cette grandeur de l’artiste correspond avec la fin du « grand art ». L’art est grand, mais il n’est plus dans la ligne du « grand art » qui suppose tradition, formation, discipline, respect des anciens et référence à des canons etc… L’art est devenu rupture, choc, innovation. L’art individualiste peut être grand, et même viser au surhumain, mais il n’a pas la dimension achevée du « grand art ».
Question 7- A la fin de votre livre, vous émettez la nécessité d'une nouvelle "discipline" toute "platonicienne" des images. Après tout, c'est sous les périodes les plus dogmatiques (le siècle d'or en Espagne, le XVIIème siècle français...) qu'ont pu se créer les oeuvres les plus splendides. Mais comment légitimer celle-ci sans retomber dans l'argument d'autorité, le dogme, sinon le clérical et surtout sans endosser les habits de la censure ?
On peut garder une certaine nostalgie pour les grandes époques de l’ image disciplinée. Peut-être le cinéma aujourd’hui est-il plus proche de cette discipline que « l’art contemporain » devenu installation, performance, etc.. et qui apparaît comme laboratoire ouvert du visuel, chantier de possibilités, percée critique et élitiste, davantage que comme œuvre accomplie, touchant un public universel. Mais je m’interroge seulement sur « l’image indisciplinée » et ses risques d’aberration, de folie, sans prétendre m’avancer vers aucun appel à l’image disciplinée qui impliquerait un consensus esthétique dont nous sommes bien loin, et qui serait en complète contradiction avec l’individualisme ou le subjectivisme dont nous parlions plus haut.
Question 8- Contrairement aux arts plastiques qui ont viré à l'abstrait, sinon à l'obscur, le cinéma est le seul art visuel qui a renoué avec le réalisme, visible par et pour tous, donc avec une certaine forme de religiosité. Parleriez-vous, comme Gilles Deleuze dans L'image-temps d'une "catholicité propre au cinéma" ? Le cinéma s'imposant finalement comme le seul art qui renouvelle aujourd'hui le lien entre l'homme et le monde ?
J’aime bien la formule de Deleuze. Le cinéma, qui conjugue images, paroles, musique, a acquis une place prééminente qui secondarise les autres manifestations de l’art. Ce septième art, que Hegel n’a pas pu prévoir, est celui qui contredit le mieux la thèse fameuse de « la mort de l’art ». Non seulement le cinéma peut envelopper les autres arts, les synthétiser, mais il devient un langage sans frontières ou presque, et il atteint ainsi à l’universalité par le sensible, à la catholicité à laquelle Deleuze fait allusion. Il est certain que, d’une façon ou d’une autre, tous les arts, visuels ou non, subissent la concurrence de l’art cinématographique qui modèle profondément nos sensibilités, et obligent les autres arts, et la littérature elle-même, à se positionner par rapport à lui. Il est porteur non seulement d’un « effet de réalité » mais aussi d’une capacité de formation des imaginations qui le place aujourd’hui en position dominante par rapport aux autres formes d’art.
Question 9- Un mot sur la disparition d'Ingmar Bergman et de Michelangelo Antonioni, ces deux grands génies de l'image moderne ?
Je ne peux que me ressouvenir du choc qu’a été pour moi L’Avventura d’Antonioni que j’ai vu au moment de sa sortie, cette impression d’un monde nouveau qui s’ouvrait, un monde avec lequel, en même temps, je ressentais la plus grande proximité. Ce film est resté pour moi, l’un des plus marquants. Le Septième sceau de Bergman m’avait frappé d’une autre manière, moins intime, moins personnel. C’est plutôt les films suivants de Bergman qui m’ont remué, alors que ceux d’Antonioni ne m’ont jamais paru atteindre la force de l’Avventura - peut-être aussi à cause de l’époque et de l’âge où j’ avais vu cette oeuvre pour la première fois. Deux immenses cinéastes.
Question 10- Quels sont enfin pour vous, dans le domaine des arts plastiques, les grands artistes vivants ?
Difficile de sélectionner quelques noms dans une époque si riche et si éclectique. Je dirais seulement que je suis frappé par le rôle nouveau des artistes femmes dans le domaine plastique : cinéma, photographie, et langages multimédias (y compris vidéo). Elles ont su faire apparaître des formes inédites de subjectivités, en osant aller très loin dans la révélation de l’intime, brisant les frontières traditionnelles entre la représentation publique de soi, et l’existence privée. A travers l’enquête sur leur identité (ou l’identité féminine en général et sa représentation) elles ont placé au premier plan la question du sujet et du corps, un sujet brisé qui se construit et se dérobe, et un corps qui est soumis au temps, à l’infirmité, aux transformations involontaires ou volontaires. Les noms d’Annette Messager, de Sophie Calle, de Cindy Sherman, de Nan Goldin, d’Orlan, de Gina Pane, bien sûr, me viennent à l’esprit, ou par ailleurs d’une autre façon, ceux de Pipilotti Rist, de Katharina Grosse, de Catherine Gfeller, de Colette Deblé ou de Sylvie Blocher. Ce domaine de croisement entre l’image publique et la vie privée, cette zone ambiguë entre le quotidien, le trivial, le banal, et la mémoire artistique ou encore l’interrogation sur les images de l’identité sexuée ont été particulièrement creusés et mis à jour par ces artistes. J’y vois une contribution importante de l’époque.
Jean-Joseph Goux
23:30 Publié dans Jean-Joseph Goux | Lien permanent | Commentaires (0)
"A l'horizon d'un amour infini", concourt au Prix Marguerite Duras !!
"A l'horizon d'un amour infini" est candidat à la première sélection du Prix Marguerite Duras.
Objectif du Prix d'après le Président de son jury, Alain Vircondelet, l'attribuer à un livre qui n'aurait pas fait honte à Marguerite Duras. Nulle recherche de clône dans la démarche, mais en revanche, une exigence de qualité, d'innovation et de modernité de l'oeuvre heureuse élue.
23:30 Publié dans Laurence Zordan, Prix Marguerite Duras | Lien permanent | Commentaires (0)
Accrochages, par Pierre Cormary (La Presse littéraire d'octobre 2007)
Une lecture d’ « Accrochages, conflits du visuel » de Jean-Joseph Goux (Editions des femmes – Antoinette Fouque, 2007, 15 euros) - Les enjeux de l’art contemporain : de la pierre philosophale au capital.
Où en est l’art aujourd’hui ? Pourquoi les artistes ou présumés tels se sont-ils coupés du public ? Pourquoi en revanche une toile de maître se vend-elle à plusieurs millions ? Que signifie exactement à notre époque une provocation artistique ? Loin des truismes et des préjugés habituels, Jean-Joseph Goux répond à toutes ses questions avec une intelligence philosophique qui nous oblige à reconsidérer notre monde et la place qu’y tient l’art, à réfléchir sur le rôle des critiques et des acheteurs, à enfin interroger notre propre perception de la modernité qu’elle soit positive ou négative.
En vérité, l’art nous a trahis.
Glorifié comme une activité à part depuis deux cent cinquante ans, chargé de donner le sens ultime de l’existence, sommé de remplacer le sacré, l’art fut « l’utopie unanime de la modernité ». On a oublié le consensus exceptionnel qui s’est fait autour de lui à partir des Lumières. Kant, Schelling, Schiller, Hegel, Schopenhauer, Nietzsche, Comte, Heidegger, Freud, et en France, Sartre, Bataille, Foucault, Deleuze, tous ont affirmé une prééminence ontologique de l’art sur les autres travaux humains. Tous ont cru que l’art devait sauver le monde. La mort de Dieu allait de pair avec la religion de l’art. L’artiste s’imposait comme le créateur par excellence et son atelier n’était rien d’autre que le nouveau lieu du divin.
Plus que nul autre, Heidegger fut le grand prêtre de cette nouvelle sacralité. A l’instar de Marx qui donnait à l’économie le premier rôle de l’histoire ou des religieux qui plaçaient Dieu au début et à la fin de tout, le penseur de Fribourg conçut l’art comme le fondement de l’humanité. L’art n’était plus comme dans les autres civilisations un simple phénomène culturel ou décoratif mais son indispensable Arché - non plus une ornementation de la vérité, mais son instauration radicale. L’art ouvrait aux essences, aux origines, aux eschatologies. Tous les enjeux sociaux, moraux, métaphysiques passaient par lui. Surtout, à partir du XX ème siècle, il trouvait son autonomie par rapport aux canons anciens. Il n’était plus déterminé par les dogmes moraux ou figuratifs. Il ne dépendait plus de l’ordre social et religieux. Il était libre absolument et pouvait refaire le monde.
Plus de sens ni même de sujet à respecter. L’invention de la modernité en peinture, c’est Cézanne où les formes et les couleurs sont prises pour elles-mêmes et non plus pour ce qu’elles représentent, c’est Malevitch et sa « peinture pure » qui se libère « du poids inutile de l’objet », c’est le cubisme bien sûr qui bouleverse la perception classique, sinon religieuse, en osant créer des images avant leur dogme – c’est-à-dire avant ce qu’elles pourraient ou devraient signifier. Comme l’avait bien vu Jean Paulhan, avec Picasso, Braque et les autres, l’image surgit d’abord et s’impose au regard avant toutes choses. Le reste (sens, référence, transcendance) viendra après – autrement dit ne viendra pas, ou viendra pour repartir tout de suite, aucun sens ne faisant désormais autorité sur un autre. En l’image moderne plus qu’en nulle autre l’existence précède l’essence. Le geste précède la substance et bientôt s’y substitue. On comprend l’effroi quasi religieux que le cubisme puis l’art abstrait produisirent sur leurs détracteurs (tout le monde à l’époque, presque tout le monde encore aujourd’hui). Une image qui ne serait image de rien, quel choc ! Peut-être fut-ce cela le secret de la modernité...
Il est vrai que non seulement cet art bouleversait les formes traditionnelles mais apparaissait encore comme une forme de trahison populaire. Contrairement à tous les mouvements artistiques précédents, le cubisme se voulut dès le début comme un art international – soit un art ne se rattachant à aucun peuple, un art coupé de ses racines nationales et bientôt de sa réception publique, un art produit seulement d’une avant-garde mettant son point d’honneur à ne pas être reconnu par le public. Un art enfin dont le nazisme dira qu’il est décadent, dégénéré, « bolchevique » et contre lequel il opposera le sien - consanguin, raciste, celtique, païen, primitif. Toute la problématique de ce que Philippe Lacoue-Labarthe appela le « national esthétisme » du nazisme commence dans cet anticubisme congénital à laquelle il faut opposer l’antique canon jupitérien. La « belle » forme classique contre le difforme au sens esthétique et au sens ethnique ! La belle brute blonde contre le sémite au nez crochu ! Siegfried contre Mime ! Jamais dans les temps modernes une politique ne se voulut à ce point « œuvre d’art » comme le nazisme. Jamais la « belle » image (« aryenne », « niebelungen », « wagnérienne », « languienne ») ne fut à ce point sollicitée – et l’on sait que Goebbels avait demandé à Fritz Lang de devenir le cinéaste officiel du régime. On sait où mena cette vision esthétique de l’humanité. Une politique du « beau » ne peut conduire qu’à l’éradication des « laids », soit à l’extermination pure et simple de tout ce qui est considéré comme tordu, malsain, étranger – juif en l’occurrence. Par extension, et hors du cas extrême du nazisme, le danger d’un art idéologique est que soit éliminé plastiquement, musicalement, ou littérairement tout ce qui ne relève pas de la salubrité publique, de l’hygiène, de la sécurité des biens et des personnes. Non pas que la politique ne doive s’occuper de ces choses-là, mais l’intérêt général qui est ou devrait être le souci politique par excellence n’a rien à voir avec la création artistique qui, elle, est ou devrait être toujours du côté du singulier et des exceptions.
L’art contemporain, c’est de la merde…
Est-ce la raison pour laquelle l’artiste contemporain eut tant besoin de se détourner du monde ? Après avoir flirté avec le pire, se crut-il obligé de se réfugier dans l’autisme ? Un comble puisqu’il venait d’accéder à une autonomie créatrice que ne lui accordait aucune époque précédente ! Le grand paradoxe de l’art moderne est en effet que c’est au moment où le monde intronise l’artiste comme détenteur des vérités suprêmes et comme révélateur du sublime que celui-ci s’exclut du monde. Comme le dit Goux, « à sa promotion ontologique exorbitante va donc correspondre aussi une sectorisation et un divorce, conséquence d’un retour sur soi-même. » Alors qu’il s’était libéré de toutes les anciennes exigences formelles et morales, déchargé de toutes les commandes historiques, religieuses ou civiques, et qu’il était prêt d’accomplir son rôle de prophète ou de saint que le monde pouvait légitimement attendre de lui, le voilà qui se met à produire des œuvres autarciques, bientôt narcissiques, incompréhensibles pour le grand public comme pour le petit, où le discours officiel laisse peu à peu la place au discours délirant, où l’élitisme tourne à l’élitaire, où l’hermétisme vire à l’obscur et où le subversif se contente d’être abject.
A l’heure où l’on parle d’Elephant art et où l’on va très sérieusement admirer dans un musée thaïlandais, le Maesa Elephant Camp, des peintures d’éléphants (et notamment celles de Khongkan et Wanpen, les deux pachydermes les plus côtés du marché), à l’heure où un artiste comme le sculpteur Joseph Beuys peut qualifier de « performance » la conférence sur l’art qu’il fit un jour devant une salle vide, à l’heure enfin où un peintre, Piero Manzoni, peut vendre des boites de conserve contenant ses propres excréments (Merda d’artista, 1961) à prix d’or, même si l’on sait depuis Peau d’Ane que la merde se transforme en or , on peut comprendre les moqueries incessantes dont sont aujourd’hui victime les artistes contemporains.
Pour autant, ce qui, selon Jean-Joseph Goux, se fait entendre derrière les quolibets du public contre les artistes contemporains n’est pas tant le refus de la médiocrité insondable de ces derniers que le contrecoup vengeur de deux siècles de croyance abusive en un art que l’on a espéré sacré, rédempteur, « philosophale ». La puissance pythique et utopique de l’art n’est plus et l’on se demande même si elle n’a jamais été. Impossible de relire aujourd’hui sans rire ou sans rage ce qu’écrivait Hegel dans son Introduction à l’esthétique à savoir que « le contenu de l’art comprend tout le contenu de l’âme et de l’esprit, que son but consiste à révéler à l’âme tout ce qu’elle recèle d’essentiel, de grand, de sublime, de respectable et de vrai. » Comme nous sommes bien loin de ce sublime, de ce respectable et de ce vrai ! Comme nous y avons cru ! Et comme les artistes nous ont trompés ! Non, c’est le dépit devant l’écroulement d’une nouvelle illusion qui s’exprime dans la haine de l’art contemporain.
… à prix d’or.
Un dépit qui n’empêche pas ce dernier de prospérer, bien au contraire. Car c’est l’œuvre précisément déplaisante, « scandaleuse », ringarde, ou anciennement misérable sur laquelle l’homme d’affaires va désormais spéculer. C’est ce qui ne se vend pas (ou qui ne s’est pas vendu « à l’époque ») qui devient l’objet idéal de spéculation. La scène primitive du marché de l’art, c’est la mévente. L’ancienne misère. Van Gogh. Ses Iris vendus aujourd’hui à des millions pour la seule raison psychosociale, donc commerciale, que leur auteur crevait de faim quand il les peignit. Mieux que le critique professionnel ou le philosophe, c’est aujourd’hui le banquier qui comprend réellement tout ce qui préside à « l’origine de l’œuvre d’art », et comment des notions métaphysiques comme celles de « l’artiste maudit » ou de « l’œuvre d’art éternelle » peuvent servir les opérations les plus juteuses. C’est ce qui est romantique qui va être rentable. C’est ce qui choque qui va rapporter. C’est ce qui horrifie le bourgeois qui va être acheté par le bobo. Et c’est pour cela qu’on a encore besoin de puritains, « censeurs », pères la pudeur, mères la vertu, idiots utiles qui ne représentent plus rien socialement mais qui font croire aux « progressistes » qu’une menace continuelle pèse sur le monde et permettent aux spéculateurs d’augmenter leurs mises.
Parallèlement, et c’est là où l’esthétique se mélange définitivement, c’est-à-dire sémantiquement, à l’économique, la peinture, depuis le cubisme, se veut désormais moins un jeu de formes qu’un jeu de signes. Comme l’écrivait Daniel-Henry Kahnweiler (le grand marchand d’art de l’époque contemporaine) cité par Goux, comprendre l’art moderne, c’est comprendre que « la peinture est une écriture, la peinture est une écriture qui crée des signes. Une femme sur une toile n’est pas une femme : ce sont des signes, c’est un ensemble de signes que je lis comme « femme ». Quand vous écrivez sur une feuille de papier « f-e-m-m-e », eh bien, la personne qui sait le français et qui sait lire lira non seulement le mot femme, mais elle verra, pour ainsi dire, une femme. La même chose pour la peinture, il n’y a aucune différence. » Dès lors, c’est tout le régime axiologique qui change. Le tableau est devenu scriptural tout comme son prix – l’ancienne monnaie-or ayant été remplacée par le seul signe bancaire. Autrement dit, l’œuvre n’est plus seulement une marchandise que l’on vend ou que l’on achète mais bien une action en Bourse dont la valeur évolue selon les fluctuations du marché. L’art, c’est du fric, le fric, c’est de l’art, art et fric n’étant que les signes financiers du marché lui-même esthétisé à gogo ! Car c’est dans l’art que le marché trouve désormais son paradigme absolu tout comme l’entrepreneur trouve dans l’artiste son modèle ! Après le « national esthétique », l’ « esthético-financier » !
En même temps, et c’est là ce qui faisait dire à Deleuze et à Guattari que notre société était profondément schizophrène, l’art contemporain, ou plutôt le n’importe quoi de l’art contemporain exprime avec une médiocrité toute transparente le n’importe quoi de notre monde. Comme l’écrit Goux, « ce « n’importe quoi » devenu « valeur » , c’est l’essence révélée de notre civilisation vouée à sa propre construction-destruction permanente. » Loin d’être la pointe de notre excellence, l’art contemporain, n’est rien d’autre que l’indice de notre défectuosité, ou comme le dit encore Goux « l’analagon esthétique détourné, parfois humoristique et pervers, de la productivité propre (axiomatique) de la technoscience, de sa pulsion prométhéenne ». Et c’est pourquoi il est pitié de voir tant d’artistes éructer qu’ils s’opposent au monde alors qu’il le promeuvent ! A leurs corps défendant, c’est bien à travers eux que s’amortissent les valeurs démocratiques, libérales et individualistes d’une société qu’ils ne cessent par ailleurs de décrier. Au fond, il n’y a pas plus libéral, individualiste et démocratique qu’un artiste contemporain même si lui se prétend révolutionnaire antisocial ! Au moins nous rend-il service en témoignant malgré lui que la forme pure dont il se réclame ne dépare pas de l’informe d’où elle est surgit et que la liberté sans prises ni codes qu’il agite comme un hochet se confond avec le néant de sa « production » (ou la production de son néant). Et Goux de parler alors de l’objectivité implacable de l’art contemporain qui montre dans sa transparence honteuse et nihiliste « la logique interne d’une civilisation opérative qui ne se construit qu’en se déconstruisant en permanence (…) qui finit par s’inclure lui-même dans cette dissolution comme dans les dessins animés loufoques où le monstre glouton finit par manger l’écran sur lequel il était projeté. » En somme, nous avons les artistes que nous méritons.
L’art insurrectionnel se sera donc mordu la queue. La production esthétique se sera transmutée en reproduction sociale et économique avant de finir comme autoproduction permanente. En tuant la représentation, en stérilisant la création, en accomplissant le tour de force d’une image qui ne serait image de rien, en s’autoproclamant seul producteur de réalité, et donc en niant toute réalité qui ne serait pas « produite », l’art contemporain sera devenu cet ouroboros ravagé et ravageur, dévoreur et dévoré, qui a fait de son corps un circuit fermé ne se nourrissant plus que de son urine et de ses excréments, qui s’est volontairement rendu aveugle à la beauté et à la terreur du monde tel un nouvel Oedipe, mais qui constitue finalement et bien malgré lui (c’est sa punition) le témoin idéal et calamiteux de notre temps.
Heureusement reste le cinéma, seul art visuel ouvert religieusement sur le monde et qui au siècle dernier s’est imposé comme par hasard ou plutôt comme par nécessité au moment où la peinture fermait définitivement ses yeux sur le monde. Avec le septième art, la force bouleversante de l’image, immédiatement secondée par ses garde-fous platoniciens (car l’image splendide de la pellicule doit être autant travaillée que disciplinée ), ressurgit et nous redonne un vrai regard sur le monde. A l’athéisme nihiliste des arts plastiques répond ce que Gilles Deleuze et Elie Faure appelaient « la catholicité du cinéma ». Avec le cinéma, art ultra réaliste et ultra hallucinatoire s’il en est, tout n’est plus que péplum, passion, paradis, cathédrale ! Il nous rend la croyance au monde, renoue le lien entre l’homme et le monde, redéploie les formes dans leur beauté dogmatique, réhabilite le rituel du spectacle, nous rend à nouveau visible l’invisible, redonne de la réalité à la réalité, bref accomplit tout ce que n’ont pu faire les imposteurs aux tableaux blancs et les coprophages côtés en bourse. Et c’est pourquoi Michelangelo Antonioni et Ingmar Bergman sont grands.
23:25 Publié dans Jean-Joseph Goux | Lien permanent | Commentaires (0)
Salon des éditeurs indépendants du Quartier Latin (29.11 au 02.12 2007)
COMMUNIQUE DE PRESSE
1er Salon des éditeurs indépendants du Quartier latin
Mairie du 6e arrondissement – Paris
29 – 30 novembre et 1er – 2 décembre 2007
Pour la première fois, une manifestation est exclusivement consacrée à des éditeurs indépendants implantés dans ce haut lieu de l’édition qu’est le Quartier latin.
Ce 1er Salon des éditeurs indépendants du Quartier Latin permettra à des professionnels du livre, n’en ayant pas toujours la possibilité, d’aller à la rencontre du grand public.
C’est grâce à l’accueil de la Mairie du 6e arrondissement, dans un lieu ouvert à tous, en plein cœur du « quartier du livre », que ce projet a pu devenir réalité.
Quarante maisons d’édition environ, œuvrant dans des domaines très variés – Beaux livres, musique, cinéma, voyages, livres d’enfants, BD, poésie, littérature, sciences humaines… – présenteront leurs livres et revues.
Un « salon de lecture » offrira à chacun, grands et petits, le plaisir de se plonger dans le livre de son choix, avant de l’acquérir peut-être, si le coup de cœur a eu lieu.
De nombreuses animations viendront enrichir la visite :
• Signatures
• Lectures
• Théâtre
• Concerts
• Films
• Expositions
• Coin jeune public…
Dans le même temps, le Village d’hiver d’Ateliers d’art de France, réservé aux créateurs et artisans de toute la France, se tiendra place Saint-Sulpice.
Alors, rendez-vous dès le jeudi 29 novembre pour découvrir, ou retrouver, ces éditeurs indépendants.
Le Salon est ouvert :
Jeudi 29 novembre, de 11 h à 21 h
Vendredi 30 novembre, de 11 h à 18 h
Samedi 1er décembre, de 11 h à 18 h
Dimanche 2 décembre, de 14 h à 18 h
Entrée libre
Renseignements : Brigitte PELTIER – 01 46 33 95 81 – bpeltier@noos.fr
23:25 Publié dans Salon des éditeurs indépendants | Lien permanent | Commentaires (1)
Blues Magazine parle de "Chanteuses de Blues" de Buzzy Jackson !!! (article de Nicolas Bardinet)
Chanteuses de blues
Buzzy Jackson
Traduit de l'américain par Luc Carissimo
Genre littéraire : portraits
266 pages, prix 20 E
Editions Des Femmes - Antoinette Fouque, Paris, novembre 2006
Titre original : A Bad Woman Feeling Good : Blues and the Women Who Sing Them
Ce livre doit être mis en parallèle avec Jazz Ladies, de Stéphane Koechlin, chroniqué dans le N°44 de Blues Magazine. C'est le premier livre de Buzzy Jackson, diplômée d'Histoire de l'université de Berkeley. Comme Koechlin, elle est sidérée par la formidable vitalité des femmes - Noires pour la plupart - dont elle parcourt l'existence avec intelligence et une évidente complicité féminine.
Petit regret : l'édition américaine comporte 70 photos, 8 dans la présente édition... économies obligent ! Et puis, le titre français ne me convient qu'à moitié, eu égard au titre américain, beaucoup plus explicite... mais sans doute intraduisible !
Dans un monde musical hyper machiste, les pionnières - Mamie Desdoumes, Mamie Smith ou Ma Rainey - font preuve d'un sacré courage pour protester publiquement contre la ségrégation ambiante ou la veulerie des hommes. Au passage, nous découvrons Sophie Tucker émigrée Juive Russe rondouillette, présentée à ses débuts comme une goualeuse nègre raffinée, parce qu'elle est barbouillée de noir selon la tradition des minstrels : stupeur des publics blancs quand elle enlève ses gants et révèle la blancheur de ses bras !
L'immense apport de Bessie Smith est ensuite associé à celui de son producteur John Hammond. Héritier des richissimes Vanderbilt, il fera tout pour faire connaître la culture musicale des Noirs. Et Bessie mérite bien ici le titre d'Impératrice du Blues, puisque toutes les artistes venant après elle se disent totalement redevables de son aptitude exceptionnelle à vivre et changer le Blues. Un de ses accompagnateurs, Buster Bailey, le relevait : Pour Bessie, chanter, c'était simplement vivre. Et Buzzy Jackson de remarquer combien cette femme, à la fois séductrice et rebelle, influencera jusqu'aux stars du Rock et de la Pop music... y compris Madonna !
A partir des deux piliers que constituent Bessie Smith et John Hammond, Buzzy Jackson nous invite à rencontrer des artistes qui ne sont pas toujours cataloguées dans les rubriques Blues, mais qui se revendiquent, à juste titre, d'une tradition marquée par un désir de liberté et d'émancipation de la femme, à travers l'expression d'un chant très personnel, relatant souvent des existences mouvementées, grinçantes et rarement roses.
Billie Holiday, autre protégée de John Hammond, apparaît ainsi dans toute sa complexité : située en marge, avec une voix laissant apparaître toutes ses fêlures, elle pratique une sophistication raffinée. A l'époque, cela surprend le public blanc friand d'une sensualité de pacotille, attachée à l'image de la femme noire. Sur ce thème, l'auteur ne manque pas d'évoquer les relations catastrophiques et violentes de Billie avec les hommes. Seul le saxophoniste Lester Young, en quelque sorte son âme soeur, saura la respecter, sans doute parce qu'il était, lui aussi, un écorché de l'existence.
La jeunesse d'Etta James la rapproche de Billie Holiday : père absent, mère adolescente et peur panique pour sa propre survie. Comme Bessie Smith, Etta chante très jeune dans la chorale paroissiale et bénéficie d'une solide formation vocale de la part du maître de chapelle James E. Hines. Ce qui ne l'empêchera pas de composer des Rock'n'Roll aux paroles sexuellement explicites, à la suite de son premier tube : Roll With Me Henry ; Elle a tout juste 15 ans à l'époque ! Ce qui poussera d'ailleurs ses nombreux éditeurs ou impresarii à la gruger copieusement, comme nombre de jeunes femmes de cette histoire.
Aretha Franklin - encore une découverte de John Hammond - est une des rares chanteuses bénéficiant d'une enfance heureuse, marquée par son pasteur de père le Révérend Clarence L. Franklin. Guidée par lui, elle s'oriente très tôt vers une musique dite commerciale - mais diablement efficace - où malgré deux maternités, à 14 et 16 ans, elle se taille un chemin personnel, soutenue par son imprésario et mari Ted White qui la fait passer sous Label Atlantic, où elle enregistre des tubes imputrescibles du Rythm and Blues : Respect, Think, etc.
Avec Tina Turner, retour à une détestable violence conjugale complètement cachée pour ne pas détruire une image de couple soudé, colportée par des magazines spécialisés, et pour qu'elle continue à offrir à ses fans le cliché d'une femme sexuellement libérée, alors qu'elle vit exactement le contraire, sous la pression d'un mari se prenant dangereusement pour Pygmalion !
Janis Joplin, première artiste blanche de cette série de portraits, reconnaît sa filiation avec Bessie Smith. BB King appréciait d'ailleurs son style vocal marqué par un profond désir de libération. Ilm faut dire qu'elle est originaire de Port Arthur, cité petite-bourgeoise, repliée sur elle-même au fin fond du Texas, et ne comprenant rien à la culture hippie de l'enfant du pays. Sa mort précoce (surconsommation d'alcool) la rapproche, hélas, de Bessie, de Billie et de tant d'autres qui devront acquitter d'une mort prématurée, leur liberté durement acquise.
Dans un dernier chapitre, Buzzy Jackson fait le portrait de quelques chanteuses ayant, peu ou prou, une filiation avec Bessie Smith et développant dans leur vie - ou tout du moins dans certaines de leurs chansons - une blues attitude : Joni Mitchell, Patti Smith, Lucinda Williams, Queen Latifah, Eryka Badu, Courtney Love, etc. On se demande simplement si cela valait la peine d'évoquer ici, Whitney Houston, Mariah Carey ou... Céline Dion, même si l'auteur leur attribue la palme d'or du chant hypertrophié et les qualifie de reines des poumons... dans des corps exceptionnels !
Nicolas Bardinet
22:32 Publié dans Buzzy Jackson | Lien permanent | Commentaires (0)
Espresso de Télérama spécial Aung San Suu Kyi, le 1er octobre 2007 !!
Se libérer de la peur
Paroles à méditer d’Aung San Suu Kyi, grande figure de la résistance birmane, prix Nobel de la Paix :
« Ce n’est pas le pouvoir qui corrompt, mais la peur : la peur de perdre le pouvoir pour ceux qui l’exercent, et la peur des matraques pour ceux que le pouvoir opprime… Dans sa forme la plus insidieuse, la peur prend le masque du bon sens, voire de la sagesse, en condamnant comme insensés, imprudents, inefficaces ou inutiles les petits gestes quotidiens de courage qui aident à préserver respect de soi et dignité humaine. (...) Dans un système qui dénie l’existence des droits humains fondamentaux, la peur tend à faire partie de l’ordre des choses. Mais aucune machinerie d’État, fût-elle la plus écrasante, ne peut empêcher le courage de resurgir encore et toujours, car la peur n’est pas l’élément naturel de l’homme civilisé. » M.Ln. Se libérer de la peur, éd. des Femmes
13:25 Publié dans Aung San Suu Kyi | Lien permanent | Commentaires (0)
Joyeux Anniversaire à Antoinette Fouque !
Les Balances des Editions Des femmes
Antoinette Fouque, auteur de "Gravidanza" (argumentaire en pièce jointe), anniversaire le 1er octobre
Le signe du charme, de l'élégance et de l'intellect par excellence ! Moins fantasque que le Verseau et moins épuisant que le Gémeau. Il n'est pas surprenant qu'Antoinette Fouque soit née sous le signe de la Balance, iie gouvernée par Vénus. Je suis en tous cas satisfaite que Le Parisien ait songé à mentionner ses 71 bougies soufflées le 1er Octobre. (et vive l'astrologie !)
Sihem Habchi, nouvelle Présidente de Ni Putes Ni Soumises est venue saluer Antoinette Fouque à l'occasion du très réussi cocktail qui a eu lieu le 19 septembre à l'Espace Des femmes, 35 rue Jacob, Paris 6ème. Un bien prometteur contact s'est également noué ce soir-la entre la cofondatrice du MLF et l'irradiante Frigide Barjot, venue accompagnée de ses poussins, Bastien de Koch et Constance Barjot. http://www.jalons.fr/frigide/index-frigide.html Amusant de voir se retrouver sur Ségolène la grande intellectuelle, ancienne députée européenne socialiste et matérialiste avec la fantasque chrétienne Gaulliste (dont j'aime à la folie les jaloniennes chansons ! On peut en écouter lààààà : http://www.jalons.fr/frigide/chansons-index.html)...
00:30 Publié dans Antoinette Fouque | Lien permanent | Commentaires (0)
29/09/2007
Grande manifestation pour Aung San Suu Kyi au Trocadéro le 29.09.09 AVEC ANTOINETTE FOUQUE
Antoinette Fouque était présente à la grande manifestation pour la Birmanie, samedi 29 septembre, Place du Trocadéro
L'Alliance Des femmes était venue en nombre avec les magnifiques panneaux de la publicité dans Le Monde daté du 30 septembre, Jane Birkin était là aussi, Le Premier ministre du gouvernement birman en exil aussi, Irène Frain et Claire Julliard étaient présentes par la pensée. Et tant d'autres, certainement ! Coucou à mon amie Ilse.
On m'aurait reconnue, aux côtés d'une militante de l'Alliance Des femmes sur LCI dans le flash infos du soir. (j'accepte de signer les autographes !)
23:55 Publié dans Antoinette Fouque, Aung San Suu Kyi | Lien permanent | Commentaires (0)
14 h au Trocadéro, Antoinette Fouque (et moi !) avec Aung San Suu Kyi
Le menu est juste après la poésie - d'Aung San Suu Kyi HERSELF ! - dont l'abus n'a pas les mêmes conséquences que celui de la cigarette ni de celui de l'alcool !
"Nous pouvons être
Froids comme l'émeraude,
Comme l'eau au creux des mains,
Mais nous pourrions être
Comme des éclats de verre
Au creux des mains."
Explications pour comprendre le haïku (comment ça, je vous sous-estime !? ) :
Le peuple birman était las de cette situation précaire, las de subir la peur, las d'être comme "l'eau au creux des mains" du pouvoir. Le plus petit de ces éclats de verre a la force tranchante pour se défendre contre la main qui cherche à le briser ; il est le vivant symbole de cette étincelle de courage nécessaire à qui veut se libérer de l'oppression qui l'écrase". Aung San Suu Kyi, Se libérer de la peur, éditions Des femmes, 1991
Aung San Suu Kyi : la pousuite de l'action menée depuis 16 ans par Antoinette Fouque pour l'encourager
A. Les manifestations de soutien à la cause birmane : toujours plus nombreux !
1) Celle de jeudi 27 septembre devant l'ambassade de Birmanie
La manifestation de jeudi 27 septembre, à Paris, à laquelle je vous avais conviés pour soutenir l'opposition birmane dans sa lutte contre la junte au pouvoir, a rassemblé quelques 400 personnes (évaluation personnelle). En attendant le reportage bien plus brillant de deux étudiants du CELSA, un petit film, disponible sur le site du Monde, vous donnera un aperçu : http://www.lemonde.fr/web/video/0,47-0@2-3224,54-960464@51-947750,0.html
Notons qu'à 14 heures, en semaine, avec une information relayée si peu à l'avance, 400 personnes, ce n'est pas si mal ! Hauts les coeurs !
Le "succès" de cette manifestation trouve sa source dans la présence de Jane Birkin http://www.fr.janebirkin.net/, dans celle de Philippine Leroy-Beaulieu http://filmos.actricesdefrance.org/L/Philippine_Leroy_Beaulieu.html, dans celle de Ségolène Royal http://www.desirsdavenir.org/ ... ou moins modestement dans la portée de mon émile de la veille ! (on peut TOUT imaginer ! Laissez-moi rêver !)
Trève de plaisanterie, l'Alliance des Femmes http://www.alliancedesfemmes.fr/ était aussi venue en nombre, et j'ai pu reconnaître Irène Frain http://www.irenefrain.com/ et Nicole Guedj http://www.nicole-guedj.fr/ dans la foule.
2) Les Rendez-vous politiques de ce samedi 29 septembre
a. RUEZ-VOUS SUR le quotidien "LE MONDE" ! La quatrième de couverture d'une jolie couleur orange est offerte par les éditions Des femmes en témoignage de notre fidèle affection à Aung San Suu Kyi et de notre sensibilité extrême aux horreurs qui se déroulent en Birmanie ces jours-ci.
b. 14 h, Place du Trocadéro - PRESENCE D'ANTOINETTE FOUQUE EN CHAIR ET EN OS, QUI A PROLONGE SON SEJOUR A PARIS SPECIALEMENT POUR PROUVER SON FERVENT APPUI A LA RESISTANTE DE LA PAIX BIRMANE.
Antoinette Fouque (argumentaire de son nouveau livre, "Gravidanza", en pièce jointe) a passé trois jours avec Aung San Suu Kyi à Rangoon en 1995. Elle n'a jamais cessé depuis de prendre des nouvelles de Miss Non-Violence, ni de faire parler d'elle et de diffuser ses écrits autant que possible.
Appel à manifester pour arrêter le massacre de l'Alliance des Femmes pour la démocratie, Alliance Birmanie Démocratie, Fédération Internationale des Ligues des Droits de l'Homme, Mouvement contre le Racisme et pour l'Amitié entre les peuples, Parti Communiste Français, Reporters sans frontières, Les Verts, Ligue Communiste Révolutionnaire etc
c. 17 h 30, Devant l'ambassade de Birmanie, 60 rue de Courcelles, Paris 8ème
Si vous avez le coeur à droite (puisqu'on sait - MERCI VGE ! - que la gauche n'en a pas le monopole), ou si vous souhaitez simplement être PARTOUT (Ciel ! n'y voyez aucune référence à Brasillach !) pour Aung San Suu Kyi, l'UMP - Jeunes Populaires, Moins jeunes et moins populaires, Philippe Goujon et Patrick Devedjian compris - appelle à manifester, également ce samedi 29 septembre et pour les mêmes raisons, à 17 h 30 devant l'ambassade de Birmanie (où on était jeudi), 60 rue de Courcelles, Paris 8ème, métro Courcelles, station Vélib à deux pas.
B. Les deux préfaces de "Se libérer de la peur", écrits de Aung San Suu Kyi, publiés pour la première fois en France en 1991 par les éditions Des femmes. (envoi du livre sur simple retour d'émile mentionnant une adresse postale)
1) Préface de François Mitterrand (CADEAU ! Chuuuuuuuuuut ! )
"L'illusion de la tyrannie consiste à croire, encore aujourd'hui, que l'on peut freiner la marche d'un peuple vers la liberté en mettant au secret ceux qui sont les hérauts de cette aspiration.
L'exemple d'Aung San Suu Kyi prouve, après tant d'autres, la vanité de cet espoir.
Femme, irréductible, Aung San Suu Kyi lutte, au péril réel de sa vie, pour l'avenir de son pays et de son peuple. Rien ne semble pouvoir l'arrêter dans son combat, consubstantiel à celui de millions de Birmans. Pour elle, comme pour eux, il s'agit de survie.
C'est pour cela que j'ai tenu à rendre hommage à Aung San Suu Kyi et accepté de préfacer le recueil de ses écrits politiques.
Fille du résistant birman Bogyoke Aung San, héros de la lutte pour l'indépendance de son pays, qui périra assassiné en 1947, Aung San Suu Kyi rejoint, naturellement pourrait-on dire, les grandes figures de l'histoire, celles qui ont su conduire leur peuple vers la liberté moins par des voies politiques traditionnelles que par des comportements indomptables. Elle fait déjà partie de ces saints ou sages combattants dont l'Asie a fourni quelques modèles remarquables et ce n'est pas par hasard que l'on retrouve dans les écrits d'Aung San Suu Kyi tant de références au Mahatma Gandhi.
Un texte, celui qui donne son titre à l'ouvrage, a tout particulièrement retenu mon attention, il s'intitule "Se libérer de la peur".
Quelle force et quelle vertu dans cette réflexion qui fait apparaître que "ce n'est pas le pouvoir qui corrompt mais la peur", la peur de ceux qui détiennent le pouvoir et redoutent de le perdre, la peur des opprimés qui s'accrochent au malheur et craignent qu'il n'empire. Quel appel aussi au courage, celui qui est donné et celui qui est gagné, chaque jour, au prix d'une méticuleuse ascèse personnelle.
Aung San Suu Kyi n'est pas une rêveuse mais une femme d'action, l'écho grandissant de sa cause en témoigne. Être de science et de raison, elle ne prêche pas l'impossible.
Elle évoque enfin pour moi l'époque de la Résistance au cours de laquelle des hommes et des femmes de mon pays ont réussi à s'élever au-dessus d'eux-mêmes, par un effort acharné, pour affirmer leur confiance dans l'avenir et la faire triompher.
Ce combat en faveur de la liberté et de l'humanité, incarné aujourd'hui par Aung San Suu Kyi, il est toujours le nôtre." François Mitterrand
2) Préface de Vaclav Havel (extrait)
"Le Prix Nobel de la Paix 1991 a fait connaître au monde entier la lutte d'Aung San Suu Kyi contre la tyrannie, pour la liberté et la dignité. Nul autre qu'elle ne méritait davantage cet honneur. Tous ses discours sont empreints d'une égale vigueur et de la même fermeté. Elle a refusé l'exil qu'on lui proposait pour acheter son silence. Assignée à résidence, elle a choisi la vérité. Elle est donc le plus admirable symbôle de ce pouvoir que possèdent même ceux qui semblent n'en avoir aucun.
J'ai eu le grand honneur de la proposer pour le Prix Nobel, et je me joins maintenant à tous ceux qui saluent le choix du jury d'Oslo. (...)" Vaclav Havel
Je vous laisse : Courez jusqu'à la manif ! Sautez dans le bus 63 ! Engouffrez-vous dans le métro ligne 6 ou 9 ! Z'ou ! Ouste ! Filez !
13:32 Publié dans Antoinette Fouque, Aung San Suu Kyi | Lien permanent | Commentaires (0)
Avec la Birmane et la Vietnamienne : une Gonessienne !
Hacina Zermane : Pour le plaisir d'associer à la Birmane et à l'Asiatique, l'incroyable Gonessienne ! (du 95 ! iie Val d'Oise)
Le livre de Hacina Zermane (aidée de Myriam Mascarello, journaliste à France 24) aux éditions Des femmes : Sheh ! Bien fait pour toi ! (fin 2006) Il s'agit du témoignage d'une jeune femme musulmane victime de la polygamie de son mari, séropositive depuis 17 ans, qui se bat pour diffuser l'information, en particulier dans les banlieues, sur cet infâme VIH. Je vous raconterai tous nos projets suite à notre rendez-vous à Ni Putes Ni Soumises http://www.niputesnisoumises.com/ mardi 2 octobre.
(Pour en savoir davantage et avoir l'eau à la bouche concernant l'argumentaire (que pour tout avouer, je ne retrouve pas ! ), attendez !
13:25 Publié dans Hacina Zermane | Lien permanent | Commentaires (0)