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01/07/2009

Edmonde Charles-Roux a frémi en lisant Laurence Zordan (article du 5 juin 05 dans La Provence)

zordan3.JPGLu pour vous
A faire frémir
Par Edmonde Charles-Roux
 
Des yeux pour mourir, éditions des femmes, 174 p., 18 euros
 
Aux confins du Tadjikistan Laurence Zordan plante le décor de son roman, l'histoire d'un taliban dressé à torturer
 
Ce récit est d'une cruauté inhabituelle et par moments insoutenable. Il donne corps à un personnage juvénile que l'on voit grandir : le narrateur. C'est un jeune Afghan d'une indéniable beauté. Il a le visage nu : "La barbe réglementaire des Talibans se refusait à y pousser. Nul ne songeait à lui en faire reproche", bien qu'il fut destiné à devenir un moudjahidin. On avait donc enseigné au narrateur depuis l'enfance "la haine fulgurante", on l'avait dressé à torturer. L'auteur de ce récit - et voilà la surprise - est une femme, une occidentale, Laurence Zordan.
 
Des yeux pour mourir est son premier roman. Il a pour cadre une région lointaine, située aux confins du Tadjikistan, de la Chine et de l'Afghanistan, un pays d'érosion, de montagnes désertiques, de soleil brûlant, de tempêtes et d'hallucinations. "Le paysage s'est suicidé bien avant ma naissance", précise le narrateur. Le temps est celui de la guerre, l'époque celle de l'invasion russe, des bombardements aveugles et des villages incendiés. "Nous vivons au bord du vide", dit encore le narrateur qui s'adresse directement, d'un bout à l'autre du livre, au lecteur comme il s'adresserait à un occidental effaré, horrifié ou à un expert en profilage criminel tout occupé à l'écouter et cherchant en vain à comprendre de quelles sortes de monstres il est confronté. "Or, je suis le guetteur, le Guetteur de l'abomination. Vos gazettes s'extasient devant la beauté des yeux des Afghans. Regrettable, sans doute, qu'avec un physique hollywoodien certains se soient fait talibans..."
 
Une des questions que pose ce livre est comment écrire après le 11 septembre 2001, ce jour où les deux tours jumelles du World Trade Center s'effondraient ? "Vous devriez comprendre que l'ancrage dans la réalité appartient au passé et qu'avec les deux tours se sont également effondrées la vraisemblance et la plausibilité." Autre question liée à ce roman : "Comment peut-on semer la terreur et la torture sans être un malade mental ?"
Pour tenter de répondre à ces questions, l'auteur bâtit cette sorte de roman d'apprentissage. L'histoire de ce petit pouilleux, élevé dans l'obscurantisme et la haine des femmes, qui apprend à tuer, devient l'enfant-assassin, maniant non pas la kalachnikov mais une arme plus silencieuse : son poignard. Il devient, par la force des choses, un fou de Dieu sans Dieu. Il mêle des actes de guerre aux missions d'infiltration destinées à déstabiliser l'armée indienne. Il trahit les uns puis les autres, mangeant à tous les râteliers et puis, chemin faisant, il passe de la guerre aux salles de torture où sa cruauté est à faire frémir et termine sa vie en clochard. "Un Afghan clochard à New-York après le 11 septembre. Vagabond glabre, terré parmi les clochards hirsutes qui, comme les Talibans, ont peur de moi, de mon poignard et de mes joues sans barbe..."
Tel est le dernier portrait paru de ce nouveau type de terroriste.
 
E.C.-R.
Des yeux pour mourir, éditions des femmes, 174 p., 18 euros

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