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20/07/2007

FAIRE L'AMOUR - Jean-Philippe Toussaint

Faire l'amour.jpgLe second homme que j’ai choisi de mettre à l’honneur de cet émile d’été est Jean-Philippe Toussaint. Faire l’amour raconte la dissection d’une rupture, lancinante, implacable et cruelle, au Pays du Soleil-Levant entre le narrateur et Marie, sept années après leur rencontre. "Peu importe qui était dans son tort, personne sans doute. Nous nous aimions, mais nous ne nous supportions plus." Efficace.

Comme son titre l’indique, il s’agit surtout d’une réflexion sur l’acte d’amour physique, et aussi d’un livre d’une rare qualité pour décrire Tokyo, lieu où se déroule l’intrigue – aussi simple que terrible. Dans ce roman de l’errance, les héros, spectateurs impuissants, sont affligés par l’évaporation de leurs sentiments qu'ils n'arrivent pas à retenir.

Leurs corps apprivoisés continuent de jouir ensemble, en leur absence. Les pleurs de la jeune femme mêlés à la transpiration de leurs voluptueuses galipettes placent ce récit sous le signe de l'élément aquatique. De surcroît, les nuages fondent continuellement en gouttes d'eau ou en flocons, comme pour accentuer la noyade de l'être et de l'autre. L’atmosphère hyper intime créée par Jean-Philippe Toussaint lui permet de s’adonner, cristallin, sans souci de pudeur, à la description chirurgicale de chaque caresse, de chaque effleurement chair contre chair.

Regard tour à tour cru (comme un sashimi !), violent (comme un samouraï !) puis tendre (comme une statue de Bouddha !) porté sur le vertige d’aimer, méticuleuse anatomie de la passion érotique, Faire l’amour ne peut être dissocié de sa terre nippone : il en possède les secousses sismiques quand l’élégance de sa narration relève de la pureté des gravures orientales. Sensuelle et lente, l’écriture nostalgique emporte dans un tsunami d’images invitant aux songes et à la mélancolie.

"Avant même qu’on s’embrasse pour la première fois, Marie s’était mise à pleurer. C’était dans un taxi, il y a sept ans et plus, elle était assise à côté de moi dans la pénombre du taxi, le visage en pleurs, que traversaient les ombres fuyantes des quais de la Seine et les reflets jaunes et blancs des phares des voitures que nous croisions. Nous ne nous étions pas encore embrassés à ce moment-là, je ne lui avais pas encore pris la main, je ne lui avais pas fait la moindre déclaration d’amour — mais ne lui ai-je jamais fait de déclaration d’amour ? — et je la regardais, ému, désemparé, de la voir pleurer ainsi à mes côtés.

La même scène s’est reproduite à Tokyo il y a quelques semaines, mais nous nous séparions alors pour toujours. Nous ne disions rien dans ce taxi qui nous reconduisait au grand hôtel de Shinjuku où nous étions arrivés le matin même, et Marie pleurait en silence à côté de moi, elle reniflait et hoquetait doucement contre mon épaule, elle essuyait ses larmes à grands gestes brouillons du revers de ses doigts, de lourdes larmes de tristesse qui l’enlaidissaient et faisaient couler le maquillage de ses cils, alors qu’il y a sept ans, lors de notre première rencontre, c’étaient de pures larmes de joie, légères comme de l’écume, qui coulaient en apesanteur sur ses joues."

D'emblée, le ton est grave : l'amant a en permanence sur lui une fiole d’acide chlorhydrique : "J’avais fait remplir un flacon d’acide chlorhydrique, et je le gardais sur moi en permanence, avec l’idée de le jeter un jour à la gueule de quelqu’un. (...) Je me sentais curieusement apaisé depuis que je m’étais procuré ce flacon de liquide ambré et corrosif, qui pimentait mes heures et acérait mes pensées". L'amante, styliste et plasticienne reconnue, le conduit sur le territoire d'Amateratsu (la Déesse du Soleil) où elle doit inaugurer une exposition d’art contemporain. L'amant pressent que leur liaison ne survivra pas à ce voyage. "Le jour même où Marie me proposa de l’accompagner au Japon, je compris qu’elle était prête à brûler nos dernières réserves amoureuses dans ce périple".

Ainsi, lorsqu'ils se retrouvent dans une chambre d'un grand hôtel de Tokyo, épuisés, couchés dans un désordre de tissus, de peignoirs et de robes de soirée, c'est pour aller au bout de leur désir l'un de l'autre, tordre l'amour jusqu'à la dernière goutte, et peut-être en finir une fois pour toutes : "D'instinct, ma bouche s'était sentie aimantée par sa bouche et l'appel des baisers, mais, au moment même où j'allais poser mes lèvres sur les siennes, je vis que sa bouche était fermée, (...) je vis apparaître très lentement une larme sous le mince rebord noir des lunettes de soie lilas de la Japan Airlines , une larme immobile, à peine formée, qui tremblait tragiquement sur place, indécise, incapable de glisser davantage le long de sa joue, une larme qui, à force de trembler à la frontière du tissu, finit par éclater sur la peau de sa joue dans un silence qui résonna dans mon esprit comme une déflagration."

On se laisse bercer par les souvenirs érotiques torrides du narrateur, cristallisant à fond. Une expérience bouleversante qui vous fera peut-être même mieux comprendre (ou au moins vous exposera un point de vue différent sur) vos habitudes conjugales et votre comportement amoureux....


"Et, malgré mon immense fatigue, je me suis mis à espérer que le jour ne se lève pas à Tokyo ce matin, ne se lève plus jamais et que le temps s'arrête là à l'instant dans ce restaurant de Shinjuku où nous étions si bien, chaudement enveloppés dans l'illusoire protection de la nuit, car je savais que l'avènement du jour apporterait la preuve que le temps passait irrémédiablement et destructeur, et avait passé sur notre amour."

A noter, Fuir, le second volet de la trilogie de Jean-Philippe Toussaint sera bientôt enregistré sur CD pour les Editions Des femmes.

Si vous souhaitez recevoir en service de presse l'un, l'autre ou les deux de ces livres audio, je vous remercie d'en émettre la demande à presse.desfemmes@orange.fr

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